Août 2011 (couleurs légèrement retouchées) |
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L'immeuble à l'époque de Paris-Soir, dont on devine le nom en lettres claires au milieu de la façade |
La construction est confiée à deux architectes, Fernand Leroy et Jacques Cury. Ils conçoivent un navire de 13 étages qui tient à la fois de l'usine et de l'immeuble de bureaux. Une usine à ossature d'acier cachée dans un "building" à la façade de pierre. C'est l'une des premières fois, alors, que des journaux sont imaginés, rédigés et imprimés en un même lieu.
Sous terre, reposant sur un épais socle de béton, l'usine, ou plutôt les usines : une centrale électrique et un moteur Diesel sont installés au quatrième sous-sol ; ils alimentent les puissantes rotatives situées juste au dessus. C'est là aussi que sont entreposés les stocks de papier. Tout cela est invisible depuis la rue.
Au rez-de-chaussée, un vaste hall d'entrée décoré de caissons lumineux et de grands bas-reliefs (Vesper pour Paris-Soir et Meridies pour Paris-Midi), des salles pour la réception des bobines de papier et pour l'expédition des journaux. Les services techniques, les ateliers de composition, la cantine sont situés aux étages intermédiaires, éclairés par des verrières. Plus haut, dans les étages en retrait, se trouvent les rédactions de Paris-Midi et Paris-Soir, les bureaux. Celui de Jean Prouvost, luxueux, est au cinquième. Au sommet, le tout-Paris fréquente la salle de réception, la salle à manger, le bar et le jardin-terrasse avec sa fontaine. Plusieurs ascenseurs et monte-charges, présentés comme des signes de la modernité des lieux, permettent d'aller de l'imprimerie aux bureaux en passant par le "marbre".
Un exemplaire de Paris-Soir écrit et imprimé rue du Louvre (4 septembre 1939) |
La guerre ruine tout cela. A partir de l'été 1940, Jean Prouvost quitte la capitale, laissant les locaux déserts. Paris-Soir passe aux mains des Allemands. De Lyon, en zone libre, Prouvost lance son propre Paris-Soir. Mais à la Libération, les deux quotidiens qui se disputaient le même titre disparaissent, et Jean Prouvost ne parvient pas à récupérer l'immeuble. Dès le 20 août 1944, alors que les combats font rage dans Paris, des journalistes résistants et des FFI occupent l'immeuble.
Une nouvelle vie débute alors pour le 37, rue du Louvre, qui, pendant une dizaine d'années, devient le fief de la presse de gauche. Au sous-sol sont désormais imprimés des titres tels que Libération et Front National, et des journaux communistes comme L'Humanité, Ce Soir, dirigé par Aragon, ou encore Les Lettres françaises. En 1953, à la mort de Staline, la façade est drapée d'un immense voile noir orné d'un portrait du "petit père des peuples".
L'Humanité quitte les lieux en 1954. Paris-Presse puis Paris-Jour lui succèdent. Mais la SIRLO, la Société d'Imprimerie de la Rue du LOuvre, a besoin de rentabiliser ses machines. En même temps que Paris-Jour, elle imprime Candide et Le Figaro, dont la rédaction est alors au rond-point des Champs-Elysées.
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Le sous-sol où se trouvaient les rotatives |
De la grande aventure des journaux dont cet immeuble a été le théâtre et l'emblème, ceux qui visitent les lieux à cette époque ne retrouvent plus grand chose. Un bâtiment qui fut somptueux. Une odeur de graisse dans la salle des rotatives. Et quelques affiches de la CGT, froissées : "Non aux fossoyeurs de l'imprimerie"
A lire sur le sujet : "37, rue du Louvre, de Paris-Soir au Figaro", par Agnès Chauvin.
Denis,
RépondreSupprimerpetite précision : "France Soir" s'est installé au 37 rue du Louvre (sur deux étages) entre 1992 et 1998, date de son "exil" à Aubervilliers. Son ancien immeuble du 100 rue Réaumur (autre belle histoire) avait été cédé en 1989.
Philippe Hoyau
Philippe,
RépondreSupprimermerci pour cette précision vécue. Avoir travaillé dans un bureau qui fut celui d'Aragon, c'est du dernier chic !
Denis
Super papier! Je ne savais pas que l'immeuble où j'ai travaillé onze ans avait aussi abrité l'Humanité.
RépondreSupprimerLes sous-sols étaient incroyables. Je regrette de ne pas y avoir été plus souvent pour explorer.
Par ailleurs, les ascenseurs Otis étaient tellement vieux et fonctionnaient tellement mal à la fin des années 1990 qu'Otis avait proposé de les rénover pour presque rien tellement les dirigeants en avaient assez des remarques des journalistes sur le sujet :)
Excellent blog: j'en viens à regretter de ne plus visiter d'usines...
Cdlt,
Nicolas Daniels
Merci Nicolas pour ces commentaires et ce témoignage. Et surtout, il faut que tu retournes visiter des usines - tant qu'il y en a !
RépondreSupprimerA l'aube d'une retraite bien méritée entièrement consacrée à la presse, je suis trés touché de lire cet article concernant cet immeuble qui a vu mes débuts et dans lequel j'ai travaillé pendant douze ans avec bonheur et passion. Après le déménagement du Figaro, je suis repassé le voir. Et j'ai vu dans l'entrée, au milieu du chantier en cours et recouverte de poussiére, la vieille linotype que les ouvriers du livre avaient exposés dans le hall au moment de la modernisation du journal. Cela m'avait fait mal au coeur car j'ai eu le sentiment qu'on était entrain d'effacer sans retour tout un pan de l'histoire de la presse quotidienne nationale de ce quartier de Paris. J'ai toujours regretté qu' aprés le départ du Figaro, personne n'ai eu l'idée de créer dans ce magnifique bâtiment un musée de la presse.
RépondreSupprimerMerci beaucoup pour ce témoignage vécu.
SupprimerRegardez le film de Fernandel de 1938 / Jim la Houlette . Le batiment est visible au début du film , les livreurs de journaux en vélo sortent du batiment , quelques secondes plus tard , des clients sur une terrasse de café achètent des journaux Paris-Midi , arrêt sur image : vu sur la première page du journal avec l'adresse 37 rue du Louvre
SupprimerMerci pour cette référence.
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