samedi 11 février 2012

Eva et la Chocolaterie

   Durant cette campagne électorale, certains candidats sillonnent la France d’usine en usine. Eva Joly, elle, n’a qu’à lever le nez de son bureau pour s’y retrouver. Au dernier étage de son quartier général, situé 247 rue du Faubourg Saint-Martin, voici ce qu’elle voit par sa fenêtre :



Le haut d’une cheminée d’usine, oui. Les Verts appellent leur siège "la Chocolaterie", ce n’est pas pour rien. Aux deux étages inférieurs, le reste de la cheminée a été intégré dans les anciens ateliers transformés en bureaux, et peint dans un rouge orangé qui rappelle la vocation industrielle du lieu.



Les écologistes ont acheté l'immeuble en 2003, pour 1,5 million d’euros. Il était alors occupé par une société d’informatique. "J’ai une passion depuis mon enfance pour les usines (passion très compatible avec l’écologie !), confie Cécile Duflot. C’est moi qui ai négocié l’acquisition. Le profil de ce bâtiment en coeur d’îlot faubourien, en brique, avec deux balcons, m’a évidemment tapé dans l’oeil !"

Restait à retrouver l’histoire de la dite chocolaterie. Elle remonte au milieu du dix-neuvième siècle, époque où le chocolat à croquer, qui vient d’être mis au point, se diffuse largement et donne naissance à une nouvelle industrie. 


Dans les années 1850, donc, François-Prosper Rolland s’installe comme fabricant de chocolat au 166, rue du Faubourg Saint-Martin. Il ne se contente pas de vendre son produit. Il veut innover. En décembre 1850, il dépose ainsi un brevet "pour des perfectionnements aux machines à fabriquer le chocolat". Un autre, deux ans plus tard, porte sur une "bouilloire aérienne". Puis un troisième, en 1859, pour "un mode de disposition et d’enveloppe du chocolat dit chocolat de poudre, et en boîte hermétique".

François-Prosper Rolland est aussi un homme de marketing, comme on ne le disait évidemment pas à l’époque. A partir de la fin 1864, avec son nouvel associé, un dénommé Hervy, il se dote d’une marque, le "Chocolat de la marine", "garanti pur cacao et sucre". Elle est imprimée sur les étiquettes, apposée sur le papier enveloppant le chocolat, et même gravée sur les tablettes. Sur celles-ci se trouve aussi la marque RH, pour Rolland et Hervy.





"Eviter les contrefaçons", conseillent les deux hommes. Une mention qui n’est pas de pure forme : pendant une bonne quinzaine d’années, ils se heurtent en effet à un fabricant rival, Choveaux, qui se met à utiliser la même marque, "Chocolat de la marine". Il faudra un procès, gagné en 1886 par la veuve d’Hervy, pour mettre un terme à cette concurrence déloyale.

L’immeuble actuel de la chocolaterie, avec sa cheminée, est construit par l’architecte Roussel en 1866. C’est vraisemblablement à cette date que l’entreprise est transférée du 166 au 247 rue du faubourg Saint-Martin, plus près du canal Saint-Martin. L’immeuble donne aussi 6 bis, rue Chaudron. A la même période, Meunier bâtit sa superbe usine de Noisiel. 

En 1870, pendant le siège de Paris par les Prussiens, Rolland et Hervy sont séparés. Rolland est resté faubourg Saint-Martin. Hervy, hors de la capitale, lui envoie par pigeon voyageur une depêche télégraphique afin de lui donner les dernières nouvelles : "Dupré et nous bonne santé, Léon mort octobre, écrivez souvent émile et narcisse, ennuyons beaucoup". Une autre, plus énigmatique, quelques semaines plus tard : "Nouvelles récentes, septeuil, berchères, Belgique, bonne santé. Legrand, dame Lorette, 49, écrire buisson"

La suite de l’histoire demeure assez lacunaire. En 1884, François-Prosper Rolland lâche la chocolaterie, qu’il cède à la veuve de son associé Hervy. L’inventeur qui est en lui se passionne visiblement pour d’autres sujets : en 1886, il dépose avec un certain Pottier le brevet d’un nouvel appareil destiné à la photographie instantanée, l’Eclair. 

Quant à la veuve d’Hervy, d’abord seule aux commandes, elle fait ensuite entrer ses fils dans l’affaire, puis se retire. En 1895, la maison devient ainsi Hervy Frères. Avant que l’un d’eux, Albert, devienne seul propriétaire en 1904. Cette même année, l’immeuble du faubourg Saint-Martin est mis aux enchères. Proposé à 280.000 francs, il part à 302.500 francs. 

La chocolaterie d’Albert Hervy reste néanmoins sur place, au moins jusqu’au début de la guerre, en 1914. Celle-ci marque sans doute la fin de l’histoire industrielle du 247, faubourg Saint-Martin. 




Images promotionnelles pour le chocolat de la marine

Le siège de campagne d'Eva Joly,
au 247 rue du Faubourg Saint-Martin
(février 2012)  
P.S.: merci à Cécile Duflot et Julien Zloch de m'avoir ouvert les portes de la Chocolaterie. 

2 commentaires:

  1. Bonjour Denis ! Merci de l'histoire passionnante de ce lieu.

    RépondreSupprimer
  2. Intéressant (je vois où c'est !) et certainement plus que le minable dessin de Plantu publié hier dans "Le Monde" !

    RépondreSupprimer