dimanche 31 juillet 2011

Le Lucernaire, une ancienne usine

La façade de l'immeuble (juillet 2011)

   Êtes-vous déjà allé voir une pièce de théâtre ou un film au Lucernaire, dans le sixième arrondissement, à deux pas de Montparnasse? On peine à l'imaginer, mais ce lieu de spectacle est installé dans une ancienne usine de matériel de soudage. 

L'immeuble qui abrite le Lucernaire est un beau bâtiment haussmannien construit à partir de 1887 par l'architecte A. Chabert pour un certain Louis Badin, sur un terrain qui avait auparavant accueilli notamment des éditeurs et imprimeurs. S'il s'agit d'un "bâtiment de rapport", et non d'un immeuble industriel, le rez-de-chaussée est cependant occupé, à partir des années 1910, par un atelier de fabrication de chalumeaux et autres matériels pour la "soudure autogène", un type de soudage de pièces de métal. 

Charles David en train de souder
Cet atelier appartient à l'industriel qui l'a créé, Charles David. Celui-ci siège par ailleurs au conseil d'administration de la Confédération nationale du commerce, de l'industrie et de l'agriculture. 

Au bout de quelques années, les Etablissements Charles David prennent pour raison sociale le surnom de leur fondateur et deviennent Charledave, une marque encore connue aujourd'hui. La maison a pour clientèle des garagistes, des mécaniciens, des forgerons, etc. Jean David, le fils de Charles, invente et fabrique également du matériel du même type. L'entreprise sera vendue en 1990 au groupe suédois GCE (Gas Control Equipment), l'un des leaders européens sur le marché du soudage autogène.

Annonce de 1931. 
En 1976, l'atelier de la rue Notre-Dame-des-Champs est repris par un jeune couple de comédiens, Christian Le Guillochet et Luce Berthommé. Ils ont déjà fondé un café-théâtre dans une usine désaffectée impasse d'Odessa, également dans le quartier de Montparnasse, mais se retrouvent chassés par la promotion immobilière et cherchent un nouvel endroit. 

Le lieu laissé par Charledave les séduit. "Vieille de 60 ans de bons et loyaux services d'usine à sueur",  la Soudure Autogène "cachait à l'intérieur, derrière une superbe façade haussmannienne, ses entrailles, ses cicatrices", se souvient Christian Le Guillochet dans ses mémoires (Le Lucernaire: 50 ans de théâtre à Paris, L'Harmattan, 2006). "Griffée, entaillée par les ridelles des camions, graissée, patinée par les huiles des machines, mordue, brûlée, cassée, ses sols, ses murs suintaient, chuchotaient la nuit, puis parlaient de plus en plus fort jusqu'à ces emplacements où d'innombrables nombres à trois chiffres étaient gravés au pointeau dans ses plâtres, des tiercés bien-sûr, calculés, lancés, confiés au hasard, joués, espérés"

En juin 1977, l'ex-usine devient un forum culturel et ouvre ses portes au public. Laurent Terzieff, Gérard Depardieu et bien d’autres y joueront. 


Aujourd'hui, les deux fondateurs du Lucernaire sont morts, mais le lieu est toujours vivant, avec de petites salles de théâtre, de cinéma, un embryon de librairie, un café-brasserie et un restaurant. L'ensemble est organisé autour d'une sorte de rue intérieure pavée, avec une fontaine Wallace factice - celle qui lui a servi de modèle se trouve tout près, rue Vavin. 

La fausse fontaine Wallace et le sol pavé (juillet 2011)

lundi 18 juillet 2011

Les trois Cours de l'Industrie, la Folie Titon et l'émeute Réveillon



   Si vous voulez découvrir les Cours de l'Industrie dans leur jus actuel - un jus grisâtre et crasseux, il faut le reconnaître -, ne tardez plus. De lourds travaux de réhabilitation, attendus depuis des années, viennent de débuter au 37 bis, rue de Montreuil. Le chantier, confié par la Société d'économie mixte d'aménagement de l'est de Paris (Semaest) au groupement d'entreprises Demathieu & Bard et GTPR, durera au moins trois ans. Les premiers bâtiments sont censés être livrés dès 2012. Coût du projet, au moins 12 millions d'euros. 

Il s'agit de mettre aux normes cet ensemble de trois cours pavées et de huit bâtiments sans faire partir pour autant la quarantaine d'artistes et d'artisans qui y travaillent, ni saccager des lieux chargés d'histoire : ici a jailli l'une des étincelles de la Révolution française...

   Les actuelles Cours de l'Industrie sont implantées sur des terrains qui faisaient partie au XVIIe siècle du parc de la Folie Titon, vaste domaine créé en 1673 par Maximilien Titon, un marchand et fabricant d'armes ayant fait fortune en équipant l'armée de Louis XIV. Son domaine, également surnommé "Titonville", s'étendait du 31, rue de Montreuil jusqu'à la rue des Boulets et abritait notamment un magnifique hôtel particulier. Après sa mort en 1711, c'est l'un de ses fils, Evrard Titon du Tillet, qui s'installe sur place. 

Plaque commémorative sur la façade du 31, rue de Montreuil
Le marchand puis fabricant de papiers peints Jean-Baptiste Réveillon (1725-1811) achète une partie des lieux en 1765, deux ans après le décès d'Evrard Titon du Tillet, et y construit une manufacture pour développer ses activités. Celles-ci se développent tant et si bien que Réveillon obtient en 1783 le titre de manufacture royale pour sa fabrique de papier vélin "dont il est le premier parvenu à découvrir la manipulation"En octobre de la même année, c'est des jardins de la Folie Titon appartenant à Réveillon que s'envole la première montgolfière habitée, avec à son bord Jean-François Pilâtre de Rozier. Réveillon a fourni le papier utilisé pour fabriquer les premiers ballons. Le succès du premier vol lui garantit une excellente publicité. 


"Le papier de tenture fut peu apprécié à l'origine, analyse la revue La Renaissance de l'art français et des industries du luxe en 1921. Coutant d'Orville écrit en 1769 que les  papiers peints sont bons pour la garde-robe et tout au plus pour les petites chambres de maisons de campagne. Mme de Genlis leur reprochait avec raisons de coûter presque aussi cher que de vraies tapisseries. Réveillon triompha des préventions en perfectionnant la fabrication de manière à obtenir un rendement plus économique, tout en faisant appel à des artistes de talent." 

En avril 1789, Jean-Baptiste Réveillon se retrouve la cible d'une révolte pré-révolutionnaire. Il est accusé d'avoir affirmé qu'un ouvrier pouvait "vivre avec 15 sols par jour" et qu'il fallait diminuer les salaires. Son effigie est brûlée en place de Grève. Sa manufacture, qui emploie alors près de 350 ouvriers, est mise à sac et incendiée par les émeutiers, et le mouvement sévèrement réprimé. On compte plusieurs centaines de morts.
"Sous le prétexte d'un propos que je n'ai tenu ni pu tenir, j'ai été en un instant écrasé d'infortunes, plaidera un peu plus tard Réveillon. Une perte immense, une maison dont je faisais mes délices, et qui présente partout l'image de la désolation, mon crédit ébranlé, ma manufacture détruite peut-être faute des capitaux nécessaires pour la soutenir; mais surtout (et c'est ce qui m'accable) mon nom qui a été voué à l'infamie, mon nom qui est abhorré parmi la classe du peuple la plus chère à mon coeur : voilà les suites horribles de la calomnie répandue contre moi"


Un siècle plus tard, les frères Edmond et Jules de Goncourt, dans leur Histoire de la société française sous le directoire, compatissent: "Voyez cette magnifique ruche ouvrière, où se fabriquèrent, pour la première fois à Paris, des papiers vélin supérieurs aux papiers vélin anglais; des papiers d'imprimerie supérieurs aux papiers de la Hollande; des papiers veloutés à quatre-vingts teintes, égalant les tentures des Gobelins: eh bien, le maître de ces métiers, de cet hôtel, de cette fortune gagnée, pleure et ses glaces, et sa collection de dessins, et son argenterie, et son argent, et quarante mille livres de produits, et sa maison délabrée; il pleure, entre tout ce qu'il regrette, sa médaille d'or : Artis et industriae praemium datum Joanni Baptistae Reveillon. Anno 1785"


Deux frises de la manufacture Jacquemart et Bénard
En réalité, la manufacture survit à l'affaire. Mais l'ouvrier enrichi Jean-Baptiste Réveillon, lui, part en Angleterre et passe la main à d'autres dirigeants: Pierre Jacquemart et Eugène Bénard de Moussinières, un capitaine de grenadiers dans la garde nationale qui sera par la suite élu à la chambre des Cent-Jours. Après les avoir louées pendant un an, Jacquemart et Bénard achètent les installations en mai 1792. Ils y poursuivent avec succès la fabrication de papiers peints, René Jacquemart succédant à son père au décès de celui-ci, en 1804. Eugène Bénard, lui, quitte l'affaire en 1809, alors qu'il est devenu maire du 8ème arrondissement. 

En 1813, la manufacture fait faillite, en même temps que deux autres sociétés auxquelles René Jacquemart est associé: la savonnerie du 135, rue de Montreuil (Auguste Jacquemart et compagnie), et le Comptoir commercial fondé par son père (Jacquemart et Fils et Doulcet Dégligny). Des accords sont cependant trouvés avec les créanciers, et ce n'est qu'en 1840 que la manufacture de papiers peints est définitivement fermée. 

Escalier dans l'une des cours, juillet 2011
Elle est remplacée dans les années 1850 par une cité pour artisans, avec ateliers et logements ouvriers. Le programme est lancé à partir de 1853 par trois hommes d'affaires qui ont acheté le terrain: le sénateur Georges-Charles de Heeckeren (connu pour avoir tué en duel le poète russe Pouchkine), l'industriel britannique Robert William Kennard et le banquier Raphaël-Louis Bischoffsheim. Ce dernier est cependant écarté en 1855 à la suite d'un arbitrage.


Le résultat est la cité que nous connaissons actuellement. Du moins en partie, car ces cours de l'Industrie, largement consacrées au travail du bois, ont notamment souffert du feu. En mars 1908, elles sont ravagées par un énorme incendie. "Tout un groupe d'usines formant un vaste quadrilatère bordé par la rue des Boulets, la rue de Montreuil, la cité Souzy et la cité Saint-Michel a flambé", rapporte le quotidien La Presse du 2 mars. Le feu se déclare d'abord dans l'usine de force motrice Mahuet, construite en 1902 au centre du groupe d'ateliers, se propage aux installations de "MM. Margotton et Cie, fabricants de margottins" (des sortes de balais), puis atteint d'autres grands ateliers: l'usine de sièges Moreau et Pérault, qui compte à elle seule 300 ouvriers, celle d'encadrements Duponnois et Cie, les ateliers des ramasseurs de gravats Pouchart, ceux de métaux de Rougier, etc.  


Les trois cours survivent toutefois à cet accident. Pendant des décennies, elles constituent une sorte de village dans la ville, avec ses artisans qui se connaissent tous et, semble-t-il, un restaurant dans la dernière cour qui assure le repas de midi. La liste des occupants en 1913 donne bien la couleur: André et Cie, vernis sur métaux ; Bouckaert et Cie, moulures ; Brissot et Martin, force motrice ; Cannat, meubles ; Coupat, ébéniste ; Cretin, cadres ; Deswert, meubles ; Franck, ébéniste ; etc. 


Vue d'une des cours, juillet 2011
La cité passe en 1865 des mains de Heeckeren et Kennard à celles de Henri Racault et Antoinette Krieger, sa femme. Claire Duluc obtient les clés en 1883, puis Paul Jeammet, grand-père du dernier propriétaire privé, les récupère en 1942, indique une étude effectuée par le Musée des arts et traditions populaires. 

A partir des années 1970, la désindustrialisation de Paris se traduit par la disparition de certains ateliers. Ils laissent la place à des artistes "intéressés par des surfaces importantes et des loyers modérés", comme ils l'expliquent eux-mêmes. Des sculpteurs, des céramistes, des ébénistes -tradition du bois oblige-, des plasticiens divers, des musiciens. 


Vue d'une des trois cours, juillet 2011
Dans les années 1980-1990, les trois cours de plus en plus délabrées se retrouvent menacées de démolition. Leurs occupants se mobilisent et créent en 1991 une association: les Ateliers Cours de l’Industrie (ACI). Ils obtiennent en 1994 que les parties extérieures des bâtiments soient inscrites à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques, puis surtout que la Ville de Paris achète les lieux au marchand de biens qui les avait récupérés. Chose faite en janvier 2004. Montant de la transaction: 7,1 millions d'euros pour une parcelle de 3.901 mètres carrés.
"Ce site exceptionnel échappe ainsi à la voracité des promoteurs", se félicite alors le maire du 11ème arrondissement, Georges Sarre, fier d'avoir contribué à sauver "un des derniers vestiges parisiens de l’architecture industrielle de faubourg Saint-Antoine". Son objectif: récréer ici "une véritable Cité industrielle et artisanale". Rendez-vous pour en juger en 2014. 


Les travaux en cours (février 2013)

dimanche 3 juillet 2011

Les procédés Dorel, rue de Tocqueville


La façade des Procédés Dorel (décembre 2011)
Des "Procédés Dorel", il ne reste que la façade. Mais quelle façade ! Elle est d'ailleurs classée. Au 45, rue de Tocqueville, dans le dix-septième arrondissement, le passant peut admirer un magnifique immeuble Art déco de quatre étages, avec de multiples inscriptions et des mosaïques polychromes dont les couleurs - rouge, vert et or - évoquent aussi l'Art Nouveau. 

Cette façade date du début des années 1920. L'immeuble a été construit pour l'entreprise Dorel par l'architecte Frédéric Bertrand (1869-1956), diplômé de l’école des Beaux-Arts en 1893, et auteur de nombreux immeubles à Paris. 

A l'époque, la société Dorel existe déjà depuis une vingtaine d'années ("Maison fondée en 1900" indique le fronton). "Dorel père et ses fils", qui deviendra "Dorel frères" puis "Les procédés Dorel", est spécialisée dans la reproduction de dessins, plans d'architectes, devis, cahiers des charges, etc. 
Les frères sont ingénieurs chimistes, licenciés ès sciences. Félix Dorel (1875-1942), qui deviendra le seul propriétaire, a mis au point des procédés de reproduction à base de gélatine, permettant de réaliser des photocopies avant l'heure. Ce sont les fameux "Procédés Dorel" qui donnent leur nom à l'entreprise. Félix Dorel est aussi artiste, et certaines de ses aquarelles sont visibles ici, sur le site internet de sa petite-fille Anne Dorel. 

La société a d'abord été installée au 92 rue Saint-Lazare, puis au 52, rue de Lévis. Dans les années 1910, c'est un hôtel proposant aussi des vins, Gayraud, qui occupait le 45 rue de Tocqueville. En juillet 1921, Félix Dorel obtient un permis de construire pour construire sur place l'immeuble industriel de trois étages dont il a besoin, avec de grandes baies éclairant les ateliers au premier étage. Il ajoutera un quatrième étage, faisant saillie, en 1934. "Le dernier étage était réservé aux appartements de la famille, se souvient Anne Dorel. Dans mon enfance, j'allais, non sans fierté, voir mon père dans son bureau, et j'y rencontrais mes oncles et cousins... Ma grand-mère, femme de Félix Dorel, habitait tout en haut." 

Le Matin, juillet 1924
Une publicité de 1934 pour Dorel
L'entreprise des "Procédés Dorel" imprimera ou réimprimera également des livres, jusqu'au début des années 1970 ("Dix essais sur les villes des pays sous-développés", de Milton Santos, sort en 1970)

En 1998, l'immeuble a fait l'objet d'une lourde réhabilitation, pour le reconvertir en logements.  Du bâtiment initial, seule la façade a vraiment été conservée. Une nouvelle restructuration menée par l'agence d'architectes Palissad a été effectuée en 2008-2009, pour transformer la maison Dorel en un immeuble de bureaux de 3.150 m2. Coût annoncé: 7 millions d'euros. 
Les propriétaires Transimmeubles (devenu Emerige) et Natixis ont alors cédé les lieux à la Compagnie foncière du Palais-Royal. 


La façade (décembre 2011)


Document de l'agence Palissad




samedi 2 juillet 2011

Rue de Buzenval, un poste électrique en voie de démolition

L'ancien poste électrique en juillet 2011

Attention, monument en péril !

Ce bâtiment situé 63 rue de Buzenval, à l'angle avec la rue des Haies (au numéro 22), est en passe de disparaître. Après avis favorable de la Commission du Vieux Paris, la Mairie de Paris a en effet décidé de démolir ce poste électrique désaffecté, pour construire à la place un centre d'animation culturelle.
Le petit bâtiment avait été construit par l'architecte Clément Ligny, pour le compte de la Compagnie parisienne de distribution d'électricité (CPDE). Le permis de construire remonte à septembre 1908.

Vue de l'intérieur à travers une vitre cassée (août 2011)
A l'extérieur, une maçonnerie de pierre de taille et ossature métallique. A l'intérieur, un plancher composé en grande partie de dalles translucides permet de voir le sous-sol. "Les volumes (la hauteur sous plafond dépasse 5 mètres) ont été dimensionnés pour la distribution électrique qui imposait la présence d'appareils encombrants et lourds accueillis dans des sortes de casiers de maçonnerie, alignés sur deux doubles rangées", indique le compte-rendu de la Commission du vieux Paris qui a étudié le dossier. L'ensemble est aujourd'hui dans un état assez délabré, selon ce que l'on peut apercevoir à travers les vitres cassées.

La ville de Paris ayant retrouvé l'usage des lieux à l'issue de la concession, plusieurs projets architecturaux ont été envisagés pour le futur centre d'animation. L'un consistait à conserver la façade du poste électrique, et à glisser en quelque sorte à l'intérieur un édifice moderne de trois étages.



C'est finalement une solution plus radicale qui a été retenue : démolition totale, construction d'un nouveau bâtiment. Les architectes choisis sont l'équipe Pangalos-Dugasse-Feldmann. Les travaux sont censés s'achever fin 2013.

Le futur centre d'animation (vue d'artiste)

Post scriptum : en novembre 2012, le poste électrique est effectivement réduit à un tas de gravas. Voir les photos ici
"Voilà des années que dans ce quartier de la rue des Haies et de la rue des Vignoles, on arrache, écrase ou taille lentement et au hasard, comme sur un corps inerte mais toujours sensible qu'on amputerait par petits morceaux de ses membres", notait déjà Jacques Réda en 2004 dans Le Vingtième me fatigue (éd. La Dogana).

L'ancienne usine Meccano, rue Rébeval

La façade du 78-80 rue Rébeval ( juin 2011) 

78-80 rue Rébeval
Métro Pyrénées

Au 78-80, rue Rébeval, dans le 19ème arrondissement, se dresse un drôle de bâtiment. On y trouve des murs de brique et de pierre de taille comme dans nombre d'immeubles industriels. Pourtant cette façade, avec ses courbes, ses obliques, ses avancées qui ressemblent à des tourelles crénelées, ne correspond pas à celle d'une usine.

Et de fait, cette curieuse façade était celle des bâtiments administratifs de Meccano France. Les ateliers se trouvaient juste derrière. C'est là que furent fabriqués, pendant une dizaine d'années, les fameux jeux de construction.

"Tous les jouets "Meccano" vendus en France sont exclusivement fabriqués à Paris dans les usines Meccano, par des ouvriers français, avec des matières premières d'origine française", indique un avis de la direction publié dans Le Petit Parisien en décembre 1930.



Cette déclaration farouchement bleu-blanc-rouge, bien dans le ton de l'époque, est d'autant plus frappante que Meccano n'est pas une entreprise française. L'affaire est née à l'initiative d'un Britannique, Frank Hornby. A Liverpool, en 1898, il conçoit des jouets pour ses propres enfants à base de vis et d'écrous. En 1901, il brevète son invention sous le nom de "Mechanics Made Easy" (la mécanique rendue facile), et lance la fabrication. La marque Meccano elle-même apparaît en 1908.

Le succès est assez vite au rendez-vous, et une filiale française est créée dès 1912. Il ne s'agit encore que de distribuer des boîtes de jouets importées. Mais pour répondre à la demande, les usines commencent à croître et à se multiplier: une à Berlin en 1912, une autre à Paris en 1921-1922. Conçue par l'architecte d'origine belge Arthur Vye-Parminter, elle sort de terre au 78, rue Rébeval, dans le quartier de Belleville. Un étage est ajouté après 1925.


Les ateliers fonctionnent bien même si, un matin d'avril 1930,  l'explosion de quelques bonbonnes d'acide nitrique provoque un incendie et des dégâts matériels. Mais, au bout de dix ans à peine, les cinq étages, la cour, la nef centrale se révèlent déjà trop petits. En 1930, les dirigeants de Meccano décident d'installer en France une plus grande usine. Elle est construite en banlieue, à Bobigny, et opérationnelle à partir de 1934. Rue Rébeval ne restent alors que l'administration et l'expédition.
En 1951, Meccano abandonne finalement la rue Rébeval, et regroupe tous ses services à Bobigny, avenue Henri Barbusse. L'immeuble de Belleville est vendu.

Les étonnantes courbes de la façade (juin 2011)
Le Secours mutuel agricole s'y installe au milieu des années 1950. Le centre d'études supérieures de la Sécurité sociale y a également son siège à titre transitoire dans les années 1960.

Puis, à partir de 1985, les lieux, assez inchangés depuis l'époque Meccano, sont récupérés par l'Ecole d'architecture de Paris-Belleville, qui y demeure jusqu'à l'été 2009. 
Après des travaux, l'immeuble, qui dispose désormais de salles de conférence, d'un auditorium, etc.,  accueille depuis novembre 2012 l'Ecole des ingénieurs de la ville de Paris.