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La façade de l'immeuble (juillet 2011) |
Êtes-vous déjà allé voir une pièce de théâtre ou un film au Lucernaire, dans le sixième arrondissement, à deux pas de Montparnasse? On peine à l'imaginer, mais ce lieu de spectacle est installé dans une ancienne usine de matériel de soudage.
L'immeuble qui abrite le Lucernaire est un beau bâtiment haussmannien construit à partir de 1887 par l'architecte A. Chabert pour un certain Louis Badin, sur un terrain qui avait auparavant accueilli notamment des éditeurs et imprimeurs. S'il s'agit d'un "bâtiment de rapport", et non d'un immeuble industriel, le rez-de-chaussée est cependant occupé, à partir des années 1910, par un atelier de fabrication de chalumeaux et autres matériels pour la "soudure autogène", un type de soudage de pièces de métal.
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Charles David en train de souder |
Cet atelier appartient à l'industriel qui l'a créé, Charles David. Celui-ci siège par ailleurs au conseil d'administration de la Confédération nationale du commerce, de l'industrie et de l'agriculture.
Au bout de quelques années, les Etablissements Charles David prennent pour raison sociale le surnom de leur fondateur et deviennent Charledave, une marque encore connue aujourd'hui. La maison a pour clientèle des garagistes, des mécaniciens, des forgerons, etc. Jean David, le fils de Charles, invente et fabrique également du matériel du même type. L'entreprise sera vendue en 1990 au groupe suédois GCE (Gas Control Equipment), l'un des leaders européens sur le marché du soudage autogène.
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Annonce de 1931. |
En 1976, l'atelier de la rue Notre-Dame-des-Champs est repris par un jeune couple de comédiens, Christian Le Guillochet et Luce Berthommé. Ils ont déjà fondé un café-théâtre dans une usine désaffectée impasse d'Odessa, également dans le quartier de Montparnasse, mais se retrouvent chassés par la promotion immobilière et cherchent un nouvel endroit.
Le lieu laissé par Charledave les séduit. "Vieille de 60 ans de bons et loyaux services d'usine à sueur", la Soudure Autogène "cachait à l'intérieur, derrière une superbe façade haussmannienne, ses entrailles, ses cicatrices", se souvient Christian Le Guillochet dans ses mémoires (Le Lucernaire: 50 ans de théâtre à Paris, L'Harmattan, 2006). "Griffée, entaillée par les ridelles des camions, graissée, patinée par les huiles des machines, mordue, brûlée, cassée, ses sols, ses murs suintaient, chuchotaient la nuit, puis parlaient de plus en plus fort jusqu'à ces emplacements où d'innombrables nombres à trois chiffres étaient gravés au pointeau dans ses plâtres, des tiercés bien-sûr, calculés, lancés, confiés au hasard, joués, espérés".
En juin 1977, l'ex-usine devient un forum culturel et ouvre ses portes au public. Laurent Terzieff, Gérard Depardieu et bien d’autres y joueront.
Aujourd'hui, les deux fondateurs du Lucernaire sont morts, mais le lieu est toujours vivant, avec de petites salles de théâtre, de cinéma, un embryon de librairie, un café-brasserie et un restaurant. L'ensemble est organisé autour d'une sorte de rue intérieure pavée, avec une fontaine Wallace factice - celle qui lui a servi de modèle se trouve tout près, rue Vavin.
La fausse fontaine Wallace et le sol pavé (juillet 2011) |