samedi 24 mars 2012

La Cité de l'Ameublement

11, Cité de l'Ameublement (juin 2011)
31 rue de Montreuil, 75011 Paris. Métro : Faidherbe-Chaligny

   Dans l’est parisien, l’industrie de l’ameublement ne s’est pas limitée au faubourg Saint-Antoine. Pour preuve, cette Cité de l’ameublement, située un peu plus loin de la Bastille. Elle ne porte ce nom que depuis 1930, lorsque les propriétaires riverains rebaptisèrent ainsi la Cité Charles-Humbert. Mais depuis des années déjà, cette voie privée débouchant 31 rue de Montreuil était bordée de petites fabriques de meubles. 

En août 1911, un drame secoue le quartier. Un ouvrier russe tire sur un autre, dans l’atelier même de M. Maurin, l’ébéniste de la Cité chez lequel ils étaient entrés l'un après l'autre, rapporte "Le Petit Parisien". "Malgré ses efforts, le dernier venu n’arrivait pas à rendre à son patron les mêmes services que Splassi, et son salaire, par conséquent, était inférieur. Nielendoft en conçut, peu à peu, une jalousie féroce. Bientôt, les deux compatriotes furent ennemis implacables. (…) Hier matin, à propos d'un outil égaré, Nielendoft accusa son ancien camarade de le lui avoir volé. Indigné, celui-ci se précipita sur lui, armé d'une varlope. L'autre riposta à coups de compas. On sépara les combattants. Le patron les avertit qu'il en avait assez, et que, désormais, il se passerait d’eux. Ils devaient donc quitter l'atelier, lorsque dans l’après-midi une nouvelle scène, plus grave encore, éclata. Les ouvriers étaient occupés à leur établi, quand, soudain, deux détonations éclatèrent."

Aujourd’hui, même si les ébénistes, scieurs, etc., ont largement cédé la place à des galeries d’art, il reste quelques traces du passé ouvrier de la Cité. Ce dont témoignent au numéro 5 les établissements Le Briand  (sommiers, matelas en laine sur mesures), installés dans le quartier depuis 1880. Et au numéro 11 ce beau fronton en mosaïque : "J. Canet. Fabrique de meubles modernes et de styles. Salles à manger. Chambres à coucher". 

La Cité de l'Ameublement (juin 2011)

dimanche 18 mars 2012

Au Père-Lachaise, le souvenir d'une défunte usine électrique

La façade du 79 boulevard de Ménilmontant (mars 2012)

79, boulevard de Ménilmontant 75011 Paris. Métro : Père-Lachaise



   Curieux immeuble que celui du 79, boulevard de Ménilmontant, avec sa haute façade aveugle découpée en quatre pans de béton brut. Très austère, malgré des sortes de vagues en relief. Derrière la façade se trouve un poste d’alimentation du métro en électricité à haute tension, propriété de la RATP.

A cet emplacement se trouvait auparavant la sous-station Père-Lachaise mise en service en 1903 par la Compagnie du Chemin de fer métropolitain de Paris, filiale du groupe Empain-Schneider et ancêtre de la RATP. Cette installation transformait en courant continu l’électricité venue de la centrale de Bercy, pour assurer le service de deux lignes de métro : la ligne 2 Nord, et la 3. Elle comportait cinq gros transformateurs Thomson-Houston d’une puissance unitaire de 750 kilowatts. L’architecte n’était autre que Paul Friesé, le grand homme des sous-stations parisiennes. Comme pour les autres installations de cette série, il avait construit une vaste ossature métallique, avec une façade vitrée permettant à la fois de faire entrer la lumière et d’évacuer la chaleur provoquée par les machines.

Lorsque les changements technologiques ont rendu les sous-stations inutiles, plus d’une quinzaine d’entre elles ont été détruites, dont celle du Père-Lachaise. Requiescat in pace. La RATP, qui l’a remplacée par le poste à haute tension actuel, compte prochainement rénover celui-ci en installant des panneaux photovoltaïques sur la toiture et une solution solaire pour la production d’eau chaude.


Détail de la façade (mars 2012)
L'intérieur de la sous-station en 1936


vendredi 16 mars 2012

A Belleville, les chaussures Andromaque

Derrière le 53, rue Piat (mars 2012)
53 rue Piat, 75020 Paris. Métro : Pyrénées.

   Rue Piat, à côté du parc de Belleville, un coup d’œil dans l’atelier de Brigitte Valin permet non seulement d’admirer les personnages de cire, de bronze ou d’argile qu’elle sculpte, mais aussi d’imaginer la petite entreprise de chaussures qui se trouvait là dans l’entre-deux-guerres. L’actuel atelier, sur rue, était le local de vente des chaussures. La fabrication s’effectuait à l’arrière de l’immeuble, dans un bâtiment auquel deux étages avaient été ajoutés pour ce faire au milieu des années 1920.

Une vingtaine d’ouvriers s’activaient sous la houlette du patron des Chaussures Andromaque, un Grec d’Asie mineure appelé Christo Çelebioglou mais inscrit sous le nom de Christo Tchélébidès à son arrivée en France, en 1910. Le patronyme fut encore transformé lorsque Kléanthis, le fils de Christo, après avoir tâté de la chaussure à son tour, devint écrivain, et se renomma pour l’occasion Clément Lépidis. "
La fabrique paternelle occupait deux étages d’une petite maisonnette en bois, raconte celui-ci dans son récit Des dimanches à Belleville (ACE éditeur, 1984). On y accédait par un escalier branlant donnant accès à un palier encombré de boîtes à chaussures empilées jusqu’au plafond."

Belleville constituait alors l’un des principaux centres français de la chaussure, avec Romans, Limoges et Fougères. Le quartier était dominé par deux grandes usines : Monteux, avenue Simon-Bolivar, et Dressoir, rue du Général-Lasalle. Mais à côté de cette production industrielle existaient des dizaines et des dizaines d’ateliers, parfois minuscules, dont les modèles plus ou moins luxueux étaient vendus par des détaillants de toute la France. Il y avait Lubliner rue Bisson, Maurice Arnoult rue de Belleville, les chaussures JL de Germaine Sieger qui employèrent jusqu'à 15 personnes rue de la Mare, et tant d'autres. Des Arméniens, des juifs polonais, des Italiens, etc., au fur à mesure des vagues d'immigration. 

L'atelier de la rue Piat "se composait d’une grande pièce où travaillaient les monteurs, les finisseurs et le coupeur, sa table face à la fenêtre, à l’endroit de la meilleure lumière pour qu’il puisse distinguer un éventuel détail de la peausserie, raconte Clément Lépidis. La maillocheuse se tenait à l’endroit où l’on stockait les boîtes. Le brocheur occupait la plus mauvaise place : un rez-de-chaussée privé de la lumière du jour." Les machines étaient rares. Toutes les taches ou presque s’effectuaient à la main, dans l’odeur du cuir et le doux tap-tap des marteaux.

La façade sur rue du 53, rue Piat (mars 2012).
L'actuel atelier de sculpture était un point de vente
des chaussures Andromaque.
La couverture du récit de Clément Lépidis
dans lequel il évoque la rue Piat 

Fabrique, asile, prison, hôpital : la Salpêtrière

 
91, boulevard de l'Hôpital 75013 Paris. Métro : Saint-Marcel.



   La Salpêtrière constitue un cas unique : celui d’une fabrique qui ne fonctionna qu’une vingtaine d’années, il y a près de 400 ans, a été détruite, mais dont le nom reste connu de tous. Avant de devenir un des grands hôpitaux de Paris, la « Salpé » fut au dix-septième siècle, comme son nom l’indique, l’un des lieux de la capitale où était raffiné le salpêtre pour en faire de la poudre à canon. 

Retour aux alentours de 1630. A l’époque existe un Grand arsenal, établi à l’initiative de François Ier entre la Bastille et la Seine. Problème : la ville s’étendant, cet arsenal se retrouve au milieu de l’agglomération, ce qui présente de notables dangers. Dans cette fabrique de poudre, les explosions ne sont pas rares. C’est la raison pour laquelle, en 1634, le roi Louis XIII décide d’implanter un Petit arsenal sur la rive gauche de la Seine, à un endroit se trouvant à l’époque hors de la ville. Il en confie la responsabilité à l’un de ses conseillers, François Sabathier.

Celui-ci, qui se fait fort de produire de grandes quantités de salpêtre à partir des boues et vidanges des basses fosses de Paris, achète alors diverses parcelles situées "hors les faubourgs de Saint-Victor, au lieu dit Pont Livaut et à présent appelé la voirie de Sainte-Geneviève". Au total, un emplacement d’environ 18 arpents, soit 9 hectares. Peu à peu y sont construits "divers corps de bâtiment de 30 à 40 toises de long, en forme de grange" -c’est là qu’est raffiné le salpêtre-, une fonderie, et "quelques lieux propres à des magasins", indique une notice établie en 1657. Une chapelle est également mentionnée.

En 1639, cette Salpêtrière change de propriétaire : François Sabathier cède la fabrique à un certain Daniel Dufay. Celui-ci l’agrandit puis, poursuivi par des créanciers, la remet en 1650 à l’administration du roi. La production est alors arrêtée. Les bâtiments, désaffectés, trouvent assez vite un autre emploi. Face à l’accroissement de la pauvreté dans Paris, le jeune roi Louis XIV décide en effet, en avril 1656, de créer une structure "pour le renfermement des pauvres mendiants de la ville de Paris et des faubourgs". Divers établissements qui existent déjà, comme Bicêtre, la grande et la petite Pitié, la Savonnerie, etc., sont transférés à cette nouvelle organisation appelée Hôpital général. C’est aussi le cas des bâtiments du Petit arsenal, autrement dit la Salpêtrière.

"D’entrée de jeu, un fait est clair : l’Hôpital général n’est pas un établissement médical", souligne Michel Foucault dans son Histoire de la folie (Plon, 1961). Il s’agit moins de soigner que d’enfermer mendiants et vagabonds, "valides ou invalides, malades ou convalescents, curables ou incurables", précise l’édit royal. A la fois asile, prison et hôpital, la Salpêtrière restera néanmoins aussi un lieu de travail, et de fabrication. Les pauvres enfermés sur place doivent en effet "y être employés aux ouvrages, manufactures et autres travaux, selon leur pouvoir", expose l’édit de 1656 dès son article 1.

A la Salpêtrière, une partie des femmes de l’Hôpital général fabriquera ainsi non plus du salpêtre, mais des vêtements. Au milieu du dix-neuvième siècle encore, elles confectionnent dans les ateliers "une partie du linge des hôpitaux et hospices, et différents effets de lingerie, principalement des chemises pour le commerce", relate en 1863 le docteur Henri Girard de Cailleux. Car, assure-t-il, "de tous les moyens employés pour ramener l’ordre et le calme dans un asile, pour conserver les bonnes mœurs, pour obtenir la guérison et à défaut l’amélioration de la folie, le travail est un des plus puissants et des plus efficaces."







A lire aussi, à propos de Salpêtre : Saint-Germain-des-Prés, la plus incongrue des usines

vendredi 2 mars 2012

L’usine Contrescarpe, boulevard de la Bastille

9 rue Biscornet (février 2012)
   "Cour d’usine. Passage interdit". Dans Paris intra muros, il n’existe plus beaucoup de panneaux de ce type - ni de cour d’usine, à vrai dire. Raison de plus pour transgresser l’interdit, et, si la porte est ouverte, découvrir ce passage qui donne d’un côté 9, rue Biscornet, de l’autre, 36 boulevard de la Bastille. Entre les deux, l’usine Contrescarpe. Son nom même est un témoignage d’une autre époque : jusqu’en 1898, le boulevard de la Bastille s’appelait boulevard de la Contrescarpe.

Cet endroit est marqué de longue date du sceau de l’industrie. Au milieu du dix-neuvième siècle, la société Planquette et Cie, sise 36 boulevard de la Contrescarpe, disposait ainsi de machines (à vapeur, probablement) produisant de la force motrice, énergie qu’elle vendait aux entreprises du quartier. Une vingtaine d’années plus tard, on trouve à la même adresse David et Damoizeau, des fabricants de chaînes en acier sans soudure pour ancres, grues, etc.., puis des industriels du ciment.

L’ensemble d’immeubles actuel date des années 1910-1915. Il est construit à l’instigation de deux hommes, Abord-Sibuet et Desveaux, sur le principe de ce que l’on appelle aujourd’hui un hôtel industriel. Acier, béton, brique rouge : avec leur architecte, Lucien Périssé, les deux entrepreneurs bâtissent autour d’une cour intérieure plusieurs bâtiments de cinq étages découpés en ateliers qu’ils proposent à la location. Cette "usine Contrescarpe" comporte une machine à vapeur produisant de l’électricité pour l’ensemble des locataires. "Bastille – Locaux industriels en ciment armé. Force motrice. 36 bd de la Bastille", résume une petite annonce passée dans "Le Matin" en 1914 pour attirer des entreprises.

La liste des premiers professionnels installés sur place donne une idée du type d’activités pratiquées, très liées au bois (le faubourg Saint-Antoine et ses spécialistes du meuble sont tout près) : tourneurs sur bois, raboteurs, scieurs… 

Au fil des ans, viendront d’autres industriels du bois (Lama), mais aussi des fabricants de pièces pour moteurs (Solavin & Christy), d’imperméables (Breyner), d’articles de confection (Eudeline et Roch), de pièces détachées pour machines à imprimerie (Baudin et Pigoury), d’appareils de TSF (Fervox) ou encore de bas (Henri Sapriel). Au début des années 1930, Sapriel paie ainsi 76,5 francs par jour ouvrable pour exploiter "l’atelier C 55, 56, 57, 58, 59, ayant façade sur cour, d’une superficie de 180 mètres carrés environ, et situé au cinquième étage de l'usine Contrescarpe". En 1931, il s’associe à un certain Georges Lévy, qui apporte trois métiers à tisser.

Aujourd’hui, cette petite industrie a laissé la place à des couturiers, des artistes peintres, des architectes, des photographes, des designers, un fabricant de backgammon (Hector Saxe), une salle de concerts-boîte de nuit (l’OPA), un restaurant mexicain... Certains sont particulièrement fidèles, à l’image de l'imprimerie Heldé, présente depuis 1933. Ou encore de Reliac, une entreprise familiale qui, depuis les années 1960, conçoit ici du petit matériel de bureau, des albums photos, des boîtes à couverts ou à thés, ou des livres de recettes. D’autres ne font que passer.

La façade rue Biscornet (février 2012)
Vue de la cour intérieure (mars 2012)
La cour vue de l'ascenseur (mars 2012)
Autre vue de la cour (mars 2012)

La façade boulevard de la Bastille (mars 2012)