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dimanche 21 septembre 2014

La Cartoucherie de Vincennes, de la poudre au Soleil

Le Théâtre du Soleil joue Shakespeare (septembre 2014)
Route du Champ de Manoeuvre
Métro: Château-de-Vincennes 

A la Cartoucherie de Vincennes, les troupes de comédiens ont remplacé celles de soldats. Mais pendant plus d’un siècle, Vincennes a accueilli à la fois une grosse caserne stratégiquement située aux portes de Paris, et une usine d’armement cruciale.   

Tout commence au XVIIIème siècle. Les murailles qui entouraient le bois de Vincennes et en faisaient un rendez-vous de chasse privilégié pour la cour sont abattues, tandis que l’armée investit le château. En 1796, le directoire y déplace l’arsenal de Paris. Peu à peu, l’armée étend ses installations dans le bois, au-delà du château. Un atelier de poudre voit le jour, ainsi que des casernes, des champs de tir et de manœuvres, etc. 

L'entrée de la Cartoucherie (septembre 2014)
En 1860, l’Etat donne le bois à la ville de Paris, qui l’intègre au 12ème arrondissement. Une partie du terrain est alors aménagée en promenade, une autre demeure occupée par l’artillerie et ses ateliers.

En juillet 1871, durant la Commune, ceux-ci sont détruits par une formidable explosion. Les bombes, les cartouches, les obus emmagasinés là alimentent le plus impressionnant des feux d’artifices. « Tout cela sifflait, bruissait, miaulait, grondait dans l’air obscurci par une immense colonne de fumée », rapporte le journaliste du Monde Illustré. Accident, dit-on à l’époque. Mutinerie d’un groupe d’irréductibles communards, affirmeront certains plus tard.


Travaux à l'intérieur du Théâtre du Soleil (septembre 2014)
Les bâtiments actuels datent de 1874, année où la Cartoucherie est reconstruite. Une série de vastes ateliers de fer et de brique, alignés aujourd’hui autour d’une pelouse. De grandes verrières laissent pénétrer la lumière naturelle.

Durant des décennies, c’est ici qu’est fabriquée la poudre et que sont assemblées les cartouches utilisées par une grande partie des militaires français. 


Un travail effectué sous haute surveillance. En 1897, une ouvrière est envoyée en prison pour avoir dérobé deux grammes de la nouvelle poudre du fusil Lebel à la demande de son amant. « La composition de cette poudre est un de nos plus importants secrets militaires », argumente le colonel Reibell, qui commande alors les établissements d’artillerie de Vincennes.


Pli destiné au colonel "inspecteur permanent des fabrications de l'artillerie". Dans l'angle gauche, le tampon de l'Atelier de fabrication de Vincennes, appellation officielle de la Cartoucherie
 
La guerre de 1914 métamorphose la cartoucherie. En quelques mois, l’activité est multipliée par cinq, puis dix, afin de fournir les munitions nécessaires aux « poilus ». Les anciens ateliers ne suffisent plus. Des dizaines de baraques sont ajoutées dans le bois. Dès 1914, une crèche et une garderie sont aussi ouvertes un peu à l’écart pour les enfants des ouvrières. Une cuisine coopérative de 2000 places suit en 1917.

Au printemps 1918, les effectifs de l’ensemble des ateliers atteignent 4160 personnes le jour, et 1581 la nuit, indiquent Alain Marzona et Emmanuel Pénicaut (« Vincennes dans la Grande Guerre », Revue historique des armées, 2008). 


Et ce personnel sait se faire entendre. Au milieu de la guerre, une courte grève des "munitionnettes" oblige l’armée à augmenter la paye.


Rails anciens bien visibles à l'intérieur d'un des bâtiments

Après l’armistice de 1918, l’Atelier de fabrication de Vincennes se reconvertit en partie dans un autre type de douilles, celles des lampes à incandescence. Qu’elle soit civile ou militaire, l’activité industrielle est cependant arrêtée un peu avant la seconde guerre mondiale.

Un temps désaffectée, la Cartoucherie est transformée pendant la guerre d’Algérie en centre de rétention des Nord-Africains. Puis elle est laissée à l’abandon, squattée par des jeunes et des prostituées, avant d’accueillir peu à peu cinq compagnies théâtrales.


L'équipe du Soleil en plein travaux d'installation en 1970 (source: http://shibaigoya.over-blog.com/6-index.html)

A partir d’août 1970, le Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine y répète sa pièce 1789 La Révolution, avant de s’y installer définitivement, au prix de gros travaux de nettoyage et de rénovation effectués par les comédiens eux-mêmes. Le Théâtre de la Tempête, l’Epée de Bois, l’Atelier du Chaudron puis le Théâtre de l’Aquarium suivent rapidement.

Avec un tel succès que la Ville de Paris finit par renoncer à son projet de raser la Cartoucherie et d’implanter à la place une piscine olympique ou un Marineland. Place au théâtre, définitivement.



Devant le Théâtre de la Tempête (septembre 2014)

Le Théâtre de l'Aquarium (septembre 2014)

dimanche 24 juin 2012

Dans la cuisine des Deschiens

Cuisine Harmand dessinée par René Gabriel (1925) 
7 bis, avenue de Saint-Mandé 

Métro : Nation 

Au 7 bis, avenue de Saint-Mandé, c'est dans une ancienne usine de meubles de cuisine que la Compagnie Deschamps & Makeïeff a posé ses valises il y a quelques années. Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff, les fondateurs des Deschiens, y possèdent leurs bureaux, des salles de répétition, des réserves, des archives.

Les lieux servaient auparavant de siège et d'ateliers aux Etablissements Harmand, un fabricant de cuisines sur mesure installé sur place depuis les années 1920. A l'époque, ses meubles étaient jugés d'une grande modernité. Aménagée et équipée par Harmand, "pourvue de tous les appareils susceptibles de suppléer ou de remplacer les domestiques", la cuisine devenait enfin une pièce montrable. 
En 1925, Harmand propose ainsi une cuisine aérée et colorée dessinée par René Gabriel, alors une des grandes figures de la décoration. L'année suivante, la société présente au Salon des arts ménagers une desserte dont les côtés à étagères pivotent et peuvent rentrer à l'intérieur du meuble, "de sorte que lorsqu'on n'en a pas l'emploi, l'encombrement est excessivement réduit."

La guerre passe, et la maison est toujours là, jouant encore la carte de la qualité. Elle "ne possède pas d'éléments standards mais fabrique des cuisines d'après plans établis pour chaque cas", indique la revue L'Architecture d'aujourd'hui en 1952, en soulignant le "luxe extraordinaire" de certains de ses produits. "Les meubles sont en ébénisterie, les façades recouvertes de tôle émaillée." Le type même d'anciens meubles modernes que l'on ne serait pas surpris de retrouver aujourd'hui dans les décors des Deschiens, délicieusement datés...



Couverture d'une brochure publicitaire
des cuisines Harmand

vendredi 2 mars 2012

L’usine Contrescarpe, boulevard de la Bastille

9 rue Biscornet (février 2012)
   "Cour d’usine. Passage interdit". Dans Paris intra muros, il n’existe plus beaucoup de panneaux de ce type - ni de cour d’usine, à vrai dire. Raison de plus pour transgresser l’interdit, et, si la porte est ouverte, découvrir ce passage qui donne d’un côté 9, rue Biscornet, de l’autre, 36 boulevard de la Bastille. Entre les deux, l’usine Contrescarpe. Son nom même est un témoignage d’une autre époque : jusqu’en 1898, le boulevard de la Bastille s’appelait boulevard de la Contrescarpe.

Cet endroit est marqué de longue date du sceau de l’industrie. Au milieu du dix-neuvième siècle, la société Planquette et Cie, sise 36 boulevard de la Contrescarpe, disposait ainsi de machines (à vapeur, probablement) produisant de la force motrice, énergie qu’elle vendait aux entreprises du quartier. Une vingtaine d’années plus tard, on trouve à la même adresse David et Damoizeau, des fabricants de chaînes en acier sans soudure pour ancres, grues, etc.., puis des industriels du ciment.

L’ensemble d’immeubles actuel date des années 1910-1915. Il est construit à l’instigation de deux hommes, Abord-Sibuet et Desveaux, sur le principe de ce que l’on appelle aujourd’hui un hôtel industriel. Acier, béton, brique rouge : avec leur architecte, Lucien Périssé, les deux entrepreneurs bâtissent autour d’une cour intérieure plusieurs bâtiments de cinq étages découpés en ateliers qu’ils proposent à la location. Cette "usine Contrescarpe" comporte une machine à vapeur produisant de l’électricité pour l’ensemble des locataires. "Bastille – Locaux industriels en ciment armé. Force motrice. 36 bd de la Bastille", résume une petite annonce passée dans "Le Matin" en 1914 pour attirer des entreprises.

La liste des premiers professionnels installés sur place donne une idée du type d’activités pratiquées, très liées au bois (le faubourg Saint-Antoine et ses spécialistes du meuble sont tout près) : tourneurs sur bois, raboteurs, scieurs… 

Au fil des ans, viendront d’autres industriels du bois (Lama), mais aussi des fabricants de pièces pour moteurs (Solavin & Christy), d’imperméables (Breyner), d’articles de confection (Eudeline et Roch), de pièces détachées pour machines à imprimerie (Baudin et Pigoury), d’appareils de TSF (Fervox) ou encore de bas (Henri Sapriel). Au début des années 1930, Sapriel paie ainsi 76,5 francs par jour ouvrable pour exploiter "l’atelier C 55, 56, 57, 58, 59, ayant façade sur cour, d’une superficie de 180 mètres carrés environ, et situé au cinquième étage de l'usine Contrescarpe". En 1931, il s’associe à un certain Georges Lévy, qui apporte trois métiers à tisser.

Aujourd’hui, cette petite industrie a laissé la place à des couturiers, des artistes peintres, des architectes, des photographes, des designers, un fabricant de backgammon (Hector Saxe), une salle de concerts-boîte de nuit (l’OPA), un restaurant mexicain... Certains sont particulièrement fidèles, à l’image de l'imprimerie Heldé, présente depuis 1933. Ou encore de Reliac, une entreprise familiale qui, depuis les années 1960, conçoit ici du petit matériel de bureau, des albums photos, des boîtes à couverts ou à thés, ou des livres de recettes. D’autres ne font que passer.

La façade rue Biscornet (février 2012)
Vue de la cour intérieure (mars 2012)
La cour vue de l'ascenseur (mars 2012)
Autre vue de la cour (mars 2012)

La façade boulevard de la Bastille (mars 2012)

dimanche 5 février 2012

A la Bastille, l’Attila des punaises

Image d'Epinal à la gloire de Vicat (1882)
   Rue Jules César, juste à côté de l’actuelle église de scientologie, régna à la fin du XIXe siècle celui qui fut surnommé l’Attila des punaises : Joseph-Henri Vicat, "l’inventeur de l’insecticide". Une planche d’images d’Epinal datant de 1882 montre deux hommes en haut-de-forme – le jury de l’exposition universelle – visitant l'usine Vicat, 9 rue Jules César. Un troisième personnage, peut-être Vicat lui-même, leur fait admirer "les machines qui transforment les fleurs en poussière fine, lesquelles, en traversant plusieurs chambres saturées de d’essences volatiles, s’en imprègnent".

Né dans le Dauphiné en 1821, Joseph Vicat débute sa vie professionnelle comme instituteur dans les Alpes. Il s’intéresse aux plantes, à la chimie, et vers 1850, découvre les vertus insecticides des fleurs de pyrèthre réduites en poudre. "M. Vicat donna à ce moment sa démission d'instituteur et entra chez un droguiste de Lyon. Ce fut dans cette ville qu'il demeura jusqu'au jour où l'expérience faite au camp de Sathonay par le général commandant la place prouva, en détruisant les insectes dont la garnison était infestée, la supériorité du nouvel insecticide", rapportera la "Revue de la société centrale d’apiculture" à sa mort.

Aux alentours de 1855, Joseph Vicat se mue en chef d’entreprise pour fabriquer et commercialiser sa poudre, et monte à Paris. Il s’installe d’abord 123 rue Saint-Honoré, déménage ensuite rue Saint-Denis. L'usine "à vapeur" de la rue Jules César, près de la Bastille, est mentionnée à partir de 1880.

Infaillible contre les punaises, sa poudre de pyrèthre tue aussi les cafards, les cancrelas, les scorpions, les araignées, les mouches, les cousins ou encore les hannetons, assure-t-il. Et pour renforcer l’efficacité de son produit, Vicat vend des insufflateurs et boîtes-soufflets spécifiques permettant de l’appliquer utilement. Il présente ses innovations aux expositions universelles de 1855 (Paris), 1862 (Londres) et 1867 (Paris). La réussite est au rendez-vous. A l’époque, on le présente de loin comme le principal fabricant d’insecticides en France. "M. Vicat, qui a presque monopolisé ce genre d’industrie, produit à lui seul, annuellement, plus de 100.000 kilogrammes de poudre", souligne le dictionnaire Larousse en 1870.



"Soufflet parisien" Vicat
pour saupoudrer la poudre insecticide

Une autre raison de son succès est l’utilisation de la publicité. En 1900, Vicat fait ainsi réaliser un film court à la gloire de son insecticide par l’illlustre Georges Méliès (qui assure la même année une commande pour la moutarde Bornibus). Et en avril 1915, alors que son fondateur est mort depuis une quinzaine d’années et que Clément Vicat a pris sa succession, la maison publie dans la presse un avis destiné "aux soldats dans les tranchées" : pour la "destruction des poux et autre vermine", la solution consiste à saupoudrer le corps et les vêtements du fameux insecticide, "inoffensif pour les personnes". "Vendu en flacons de 2 francs, 1,25, 0,75 et 0,50", il "se trouve partout et 9, rue Jules César, Paris".

Affiche de Jules Chéret à la gloire de Vicat (vers 1880)
L'immeuble du 9 rue Jules César
(janvier 2012)

mercredi 1 juin 2011

Rue de Charenton, la manufacture des tabacs de Reuilly


Au 319 rue de Charenton, on trouve encore la porte d'entrée de ce qui était la grande manufacture de tabac de Paris. Construite en 1855-1857, elle était utilisée pour la fabrication des cigares de luxe. 
Cette usine, l'une des 22 que comptait la SEITA (Société d’exploitation industrielle des tabacs et des allumettes) en 1937, a été fermée en 1969 et démolie en 1976.

Cartes Postales Photos Manufacture de Tabac Rue de Charenton 75012 Paris paris (75)

En 1868, un journaliste de La Revue des Deux Mondes y réalise un reportage, et décrit les lieux:
"La manufacture de Reuilly était située jadis hors barrière; mais l’annexion de la banlieue l’a fait entrer dans l’enceinte de Paris. De grands arbres, de vastes terrains verdoyans, l’entourent et lui donnent l’aspect joyeux d’une usine de campagne. Elle est de création récente et ne date que de 1857. A cette époque, la consommation des millares (cigares à 15 centimes) avait pris des proportions telles qu’il n’était presque plus possible de répondre aux demandes, et que les négocians de La Havane, voyant notre embarras, menaçaient d’augmenter leurs prix. On eut l’idée alors d’acheter des tabacs en feuille dans les meilleurs vegas (plantations) de Cuba, de les expédier à Paris et de les confectionner en cigares. Une mission confiée à M. Rey, ingénieur des tabacs, réussit parfaitement; on établit la manufacture de Reuilly, on forma des ouvrières, et les résultats qu’on a obtenus prouvent que nous pouvons lutter sans trop de désavantage contre la fabrication exotique. C’est là un point capital qui permet de livrer au public des cigares accessibles à bien des bourses et d’en retirer un bénéfice considérable. Ce premier succès a été un encouragement dont on a profité, et Reuilly fournit maintenant des cigares de luxe, tels que londres, trabucos, regalias de la reina, depuis 25 jusqu’à 50 centimes, qui, sans tromper les vrais connaisseurs, parviennent du moins à les satisfaire. La manufacture emploie aujourd’hui 748 personnes, dont 700 femmes. Si les ouvriers ne lui manquaient pas, elle pourrait s’étendre sur les terrains voisins, qui lui appartiennent, et doubler sa production, ce qui permettrait de garder les cigares en magasin jusqu’à ce qu’ils aient atteint le degré de maturité parfaite.
Chaque année, 5,000 balles renfermant environ 240,000 kilog. de tabac récolté dans les vegas légitimes, c’est-à-dire célèbres, de l’île de Cuba arrivent à Reuilly, et sont précieusement conservées dans de vastes caves peu éclairées et de température toujours égale."

L'article se poursuit par un coup d'oeil dans les "ateliers de consommation":
"Lorsque l’on entre dans ces derniers, deux cents femmes tournent la tête, chuchotent, et, sous le regard du contre-maître, se remettent vite à leur besogne. Chaque ouvrière a devant elle un rouleau, des débris de tabac, un petit pot de colle, un tranchet en forme de roue et une plaque de zinc trouée dont l’ouverture représente la forme exacte que le cigare doit avoir; ce dernier outil s’appelle le calibre ou le gabarit. L’ouvrière choisit les morceaux de tabac qui doivent former l’intérieur (la tripe), les assemble sur une planchette en caoutchouc vulcanisé, les étire, les dispose de façon qu’ils n’offrent aucun pli, aucun point saillant; d’un seul coup de la paume de la main à la fois rapide et précis, elle les roule dans une feuille d’assez bonne apparence qui est la souscape; c’est déjà presque un cigare, mais un cigare écorché auquel il manque l’épi-derme. Une des feuilles de première qualité est alors enlevée au rouleau, et par deux coups de tranchet taillée en lanière large de 4 à 5 centimètres, c’est la robe, on en revêt avec mille précautions la tripe et la souscape, et l’on colle légèrement l’extrémité afin que le cigare, parfaitement maintenu et emprisonné, offre assez de résistance pour ne point se défaire; puis, à l’aide d’un instrument, fort ingénieux qui donne à tous les cigares d’une même espèce une longueur égale, on coupe le bout, et l’opération est finie. Une bonne ouvrière, ne perdant point de temps et travaillant dix heures, peut faire de 90 à 150 cigares de choix dans sa journée."